L’auteur de théâtre Artur Azevedo met en scène le type du capoeira dès 1876, son frère Aluísio en fait un des personnages principaux de son roman O Cortiço, de 1890.
En 1886, Artur Azevedo obtient un succès retentissant avec sa pièce O Bilontra, basée sur l’actualité de l’année précédente. Cette Revue de l’année, reprise dans de nombreuses villes du Brésil, répand le type du capoeira. Le romancier Aluísio Azevedo, son frère, publie en 1890 le roman réaliste O Cortiço, dont un des personnages principaux est le métis Firmo, capoeira et amant de la mulata Rita, contribuant de façon moins éclatante, mais plus durable, à la diffusion de ces types. Ni au théâtre, ni dans le roman, le mot capoeira ne désigne un jeu: un capoeira, c’est un jeune homme nègre ou mulâtre, vivant souvent dans l’insécurité de petits et gros boulots et d’expédients, bon dans la bagarre, et dont le bourgeois se demande pourquoi il aime perturber la tranquillité de la vie à Rio.
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Artur Azevedo
Artur Azevedo, né dans le Nord du Brésil à São Luís do Maranhão en 1855, arriva à Rio de Janeiro à dix-huit ans, ayant été reçu à un concours d’employé de bureau au Ministère des Finances. Il avait commencé à travailler de bonne heure, mais son talent satirique s’accordait mal avec l’ambiance de sa ville natale ; il avait déjà écrit des poèmes et une pièce remarquée, Amor por Anexins (Amour par dictons). Arrivé dans la capitale, il compléta son traitement de fonctionnaire en enseignant pendant quelque temps le Portugais, avant de trouver ses entrées dans le journalisme. En 1876, il transforma l’opérette française La Fille de Madame Angot en une brésiliennissime A Filha de Maria Angu, qui nous intéresse ici en ce que deux personnages se provoquent comme des capoeiras pour en effrayer un autre. Nous n’avons aucune indication précise sur les gestes correspondant à cette provocation.
Artur Azevedo s’est rendu célèbre par ses Revues de l’année, des spectacles de théâtre et chansons basés sur les événements de l’année écoulée. La première qu’il écrivit, en 1877, ne présente pas des personnages, mais des allégories et des types, parmi lesquels le capoeira, qui, dans le prologue, défie et menace les autres personnages de ses coups de tête (cabeçadas) et de son rasoir (navalha); tandis que la Politique lui souhaite de continuer ses éternelles frasques, de ne pas s’effrayer de l’« Engagement de Bonne Conduite » qu’on lui fait signer à la police, et de ne pas être incorporé de force dans la Marine :
POLÍTICA- Ó Capoeira, faze as tuas eternas tropelias, não te amedronte o termo de bem viver, nem que te assentem praça na Armada!
En bref, la Revista do Rio em 1877 reflète les préoccupations bourgeoises et policières à propos des perturbateurs capoeiras.
O Bilontra
Artur Azevedo collabora avec Moreira Sampaio pour la revue de l’année 1885, plus connue sous son titre O Bilontra (l’arnaqueur), qui fut un énorme succès. L’affaire qui lui donne son titre, une vente de faux titre nobiliaire, fournit aux auteurs une ligne narrative qui traversait l’année, et l’occasion de créer des personnages un plus développés que les allégories habituelles, dans une satire des moeurs, anciennes et nouvelles, du Brésil. Les capoeiras ne participent pas à la trame principale, mais apparaissent dans deux épisodes.
O Bilontra répercute l’opinion qui associe les forces de police et les capoeiras, supposés être leurs ennemis. En 1885, une force de police jugée inefficace, la Garde Urbaine (Corpo de Urbanos) fut démantelée et ses membres renvoyés à la vie civile.
(4º tableau, sc. 2 – rue Senador Dantas, dans le centre de Rio)
UM MORCEGO – Bem, meus amigos! Agora que estamos dissolvidos, é preciso tratar da vida, que a morte é certa! Portanto, voltemos à nossa antiga profissão!
TODOS – Valeu! Apoiado! (Forte na orquestra. Todos os Morcegos se transformam em capoeiras, que se dividem em dois campos.)
VOZES DA ESQUERDA – Viva os guaiamus!
VOZES DA DIREITA – Viva os nagoas!
UNS – Entra!
OUTROS – Livra! (Grande conflito. Apitos da polícia, que intervém e dispersa os capoeiras.)
Traduction libre dans la mise en scène :
UN VAMPIRE [surnom des gardes Urbains, en raison de leur cape qui, déployée, les fait ressembler à des chauve-souris] – À présent que nous voici dissouts, il faut vivre, sinon la mort est certaine! Donc, retournons à notre ancienne profession!
TOUS – C’est bon! D’accord! (Tous les vampires se transforment en capoeiras, qui se divisent en deux camps)
VOIX À GAUCHE – Vive les guaiamus!
VOIX À DROITE – Vive les nagoas!
LES UNS – Allez!
LES AUTRES – Tiens bon! (Grand conflit. Sifflets de la police, qui intervient et disperse les capoeiras.)
Plus tard, l’apparition de capoeiras dans une fête de rue sert à marquer le caractère peureux du politicien provincial victime de l’arnaqueur; il s’enfuit alors que les capoeiras s’exhibent devant une fanfare qui passe. Il est vrai que la fête a lieu sur la Praça da Aclamação (dit aussi Campo de Santana) à la limite entre les territoires des deux factions, Guaiamus et Nagoas, et que les premiers ont hissé leur drapeau dans les fils du télégraphe, signe de défi.
La pièce fut représentée dans beaucoup de villes du Brésil. Elle a contribué à la mode du terme capoeira, à l’imitation de la capitale, pour désigner toutes sortes de désordres. D’autres termes de sens à-peu-près identique existaient; il se peut que traiter un individu de capoeira ait évoqué autre chose que le traiter de capadócio, mais la pièce ne nous donne à ce sujet aucune indication.
Voir sur internet l’excellent dossier (en portugais) de l’Université de Campinas, État de São Paulo UNICAMP
O Barão de Pituaçu
Le genre Revue de l’année ayant beaucoup de succès, de nombreux théâtres et de nombreux auteurs de Rio et d’autres villes du Brésil en mirent en scène, parfois avec des troupes d’amateurs. On trouvera assez souvent dans ce théâtre populaire le type du capoeira : il fait désormais partie de la recette du succès.
Dans l’opérette O Barão de Pituaçu (Le Baron de Pituaçu, du nom d’une plage aujourd’hui incluse dans la ville de Salvador), le jeune Nègre José, baianais esclave venu à Rio avec ses maîtres, y devient le capoeira – autant dire, un mec à la coule – Zeca Baiano, du parti Guaiamu. C’est un rôle de valet de comédie, un Sganarelle brésilien, un véritable personnage susceptible d’une interprétation psychologique, et non plus un simple type, et ce personnage est indubitablement positif, une nouveauté par rapport au thème capoeira. Artur Azevedo était un participant actif de la campagne pour l’abolition de l’esclavage. Cette prise de position l’amena certainement à rechercher des personnages de Nègres sympathiques.
Extraits (mise en scène bilingue, original portugais / traduction) — Acte 1 – scène 4.
BERMUDES - (…) O diabo deste moleque como está um homem.
JOSÉ – Bênção!
BERMUDES - Deus te faça branco.
Traduction résumée :
BERMUDES – (…) Ce diable de gamin est déjà un homme.
JOSÉ – Bénédiction !
BERMUDES – Dieu te fasse blanc.
Extrait de la scène 7 : José se présente comme un citoyen carioca, explique qu’il est membre d’un “parti de capoeirage” (guaiamu), et chante ses couplets vantant sa réputation et ses capacités à semer le désordre. La mise en scène montre José faisant des passes de capoeira, provoquant et amusant le public. La pièce se conclut par une supercherie amoureuse, où José se fait passer pour un baron baianais, et par une bagarre hors scène où le nègre capoeira bat un blanc carioca, avec l’approbation du public.
O Cortiço
Artur Azevedo écrivit la revue de l’année 1889, Fritzmac, avec son frère de deux ans plus jeune, le romancier Aluísio Azevedo, qui était en train d’écrire son roman O Cortiço (page en portugais), dont un des personnages principaux est le capoeira Firmo. Le texte d’une pièce de théâtre laisse au comédien le soin de montrer les gestes et les attitudes; l’auteur d’un roman doit les décrire. Il y a donc à apprendre, dans O Cortiço, sur la manière de lutter des capoeiras, en particulier leur art de l’esquive.
Extraits traduits de passages d’O Cortiço montrant le combat et l’esquive :
Mais, lá pelo meio do pagode, a baiana caíra na imprudência de derrear-se toda sobre o português e soprar-lhe um segredo, requebrando os olhos. Firmo, de um salto, aprumou-se então defronte dele, medindo-o de alto a baixo com um olhar provocador e atrevido. Jerônimo, também posto de pé, respondeu altivo com um gesto igual. Os instrumentos calaram-se logo. Fez-se um profundo silêncio. Ninguém se mexeu do lugar em que estava. E, no meio da grande roda, iluminados amplamente pelo capitoso luar de abril, os dois homens, perfilados defronte um do outro, olhavam-se em desafio.
(Traduction) Mais au milieu de la fête, la baiana avait eu l’imprudence de se laisser glisser tout contre le Portugais et de lui souffler un secret, en roulant des yeux. Firmo, d’un saut, fut debout devant lui, le mesurant de haut en bas d’un regard provocateur et intrépide. Jerônimo, qui s’était aussi levé, répondit, fier, du même geste. Les instruments s’arrêtèrent de jouer. Il se fit un profond silence. Personne ne bougeait de sa place. Et là, au milieu de la grande ronde, amplement éclairés par le beau clair de lune d’avril, les deux hommes, profilés l’un devant l’autre, s’observaient, défiants.
– Senta! Senta!
– Nada de rolo!
– Segue a dança – gritaram em volta.
Piedade erguera-se para arredar o seu homem dali.
O cavouqueiro afastou-a com um empurrão, sem tirar a vista de cima do mulato.
– Deixa-me ver o que quer de mim este cabra!… – rosnou ele.
– Dar-te um banho de fumaça, galego ordinário! – respondeu Firmo, frente a frente; agora avançando e recuando, sempre com um dos pés no ar, e bamboleando todo o corpo e meneando os braços, como preparado para agarrá-lo.(Traduction) – Assis! – Pas de bagarre! – Continuez la danse – criait-on tout autour. Piedade s’était levée pour retirer son homme de là. Le carrier l’écarta d’une poussée, sans quitter le mulâtre des yeux. – Laisse-moi voir ce que me veut ce type!… – grogna-t-il. – Te faire prendre un bain de fumée [faire tomber, argot] espèce de péquenot – répondit Firmo, face à face; maintenant avançant et reculant, toujours avec un des pieds en l’air, et dandinant tout le corps et remuant les bras, comme s’il se préparait à le saisir.
D’autres extraits décrivent la rapidité, l’agilité et l’usage combiné de coups de pied, de têtes (cabeçadas) et de rasoirs, ainsi que la réaction de la foule et de la police. La description romanesque permet d’apprécier des détails des gestes, de l’esquive et des techniques de défense qui échappent souvent à la simple mention scénique.
Notices biographiques
Artur Nabantino Gonçalves de Azevedo, écrivain brésilien (São Luís, Maranhão 1855 – Rio de Janeiro 1908). Il s’illustra dans le journalisme littéraire, la poésie, le conte et le théâtre. Adaptant au départ les pièces françaises, il les remplit de thèmes spécifiquement brésiliens, ne conservant que la ligne dramatique principale. Artur Azevedo excelle dans le genre comique et satirique, la comédie, l’opérette; il est aussi pratiquement l’inventeur de la revue théâtrale, qui égrène les événements de l’année en une série de tableaux allégoriques – PBr. retour.
Aluísio Tancredo Gonçalves de Azevedo, romancier brésilien (São Luís, Maranhão 1857 – Buenos Aires 1913). Considéré comme l’introducteur du roman naturaliste au Brésil, il publia son premier roman, Uma lágrima de mulher (Une larme de femme) à 23 ans; son second, O Mulato (Le mulâtre) créa la polémique par le thème racial qu’il abordait. À partir de ce moment, installé à Rio, il écrivit un roman presque chaque année, en plus de collaborations à des journaux et avec son frère Artur pour des revues théâtrales. Ses ouvrages les plus connus sont O Mulato, Casa de Pensão et O Cortiço. Après 1895, il abandonna la carrière littéraire pour entrer dans la diplomatie – PBr. retour.
Francisco Moreira Sampaio, auteur de théâtre brésilien (Salvador, Bahia 1851 – Rio de Janeiro 1901). Docteur en médecine formé à Rio de Janeiro, il n’exerça jamais cette profession. Il fut fonctionnaire de la Bibliothèque nationale, puis du Ministère de l’Intérieur. Sa passion dominante était le théâtre. Il écrivit, parodia et traduisit bon nombre de pièces seul ou en collaboration, mais il mourut dans le dénuement, ayant tout dépensé dans des entreprises théâtrales – PBr. retour.