En 1966, le cinéaste français Pierre Kast réalise pour la télévision française un documentaire de quatre parties d’une heure chacune sur la culture du Brésil. Son idée : montrer qu’elle se distingue de l’européenne et de la nord-américaine. Au programme : musique, architecture, cinéma, et capoeira.
L’Institut National de l’Audiovisuel (INA), chargé en France, entre autres missions, de l’archivage et de la conservation des programmes de télévision, a mis en ligne depuis juin 2006 des vidéos de bonne qualité d’une partie de ses archives. Parmi celles-ci, les quatre parties des Carnets Brésiliens de Pierre Kast.
Les vidéos, en tout 3h 50mn, en couleurs, sont à vendre 4 euros par partie, en tout 16 euros. Seulement, il faut payer et passer par le long processus de téléchargement sans voir. Cette page prétend décrire les quatre parties, en donnant, conformément à la vocation de ce site, une importance particulière à la capoeira.
Sommaire :
- Introduction.
- Capoeira.
- Description de l’ensemble des Carnets Brésiliens.
- Conditions restrictives imposées par l’INA.
Introduction
Dans les Carnets Brésiliens, la voix de Pierre Kast présente sa vision d’intellectuel qui découvre le Brésil. La télévision française devait commencer à émettre en couleur le 1er octobre 1967 ; une année auparavant, on préparait déjà des programmes, et c’est pour cela que Kast, un réalisateur de films de cinéma, voyagea au Brésil pendant les six premiers mois de l’année 1966. Il monta ses prises de vue à partir du mois d’août de la même année. Les quatre programmes d’une heure ne furent finalement diffusés qu’au premier trimestre 1968.
Kast avait déjà fait plusieurs films de cinéma au Portugal (Merci Nastercia, 1959 ; Vacances portugaises ou Os sorrisos do Destino, 1962 ; Le grain de sable, 1964), et il comprenait le portugais. Il avait fait deux courts séjours au Brésil en 1959 et en 1965. Il recruta au Brésil, avec son producteur brésilien Thomas Farkas, son équipe, avec à la caméra Afonso Beato (dont la très belle carrière vient d’être couronnée d’un prix) et Alfreda Pucciano, au son Sydney Paíva, et pour l’assister les cinéastes brésilien Ruí Guerra et Geraldo Sarno ainsi que Helena Orosco et Fernanda Borges.
Capoeira
Ceux qui s’intéressent exclusivement à la capoeira téléchargeront seulement la troisième partie des Carnets Brésiliens, Bahia. Ils sauteront directement à la douzième minute. À partir de là, sept minutes décrivent le jeu de capoeira dans l’académie de mestre BIMBA, fondateur de la Capoeira Regional.
C’est le plus ancien film de capoeira en couleur avec son synchrone auquel nous ayons assisté. Bien que cela ait une certaine importance dans un jeu où le mouvement accompagne la musique et vice-versa, on ne peut cependant pas être sûr que le montage ait préservé la correspondance rigoureuse du son et de l’image.
Pendant l’introduction, un très bref passage témoigne de la vente de berimbaus dans l’ancien Mercado Modelo.
Résumé
Pendant que la caméra montre la rue, la plaque sur la maison, l’intérieur de l’académie, la décoration des murs, mestre Bimba, assis seul sur un banc au fond de la pièce, en train de jouer du berimbau, la voix de Pierre Kast dit ce qu’il pense de la capoeira:
Le premier étage d’une très modeste maison abrite un local de petite taille, semblable à un gymnase de banlieue, au cours d’un professeur de gymnastique retraité. Et pourtant, c’est aussi un lieu magique, le cours de la capoeira Regional du vénérable et sage maître Bimba.
Il y a deux versions de la capoeira, mais toutes deux partent du même principe, vivons cachés pour vivre forts et libres. De l’extérieur, la capoeira est une sorte de danse, une danse que les maîtres, regardant leurs esclaves s’agiter en mesure au son du berimbau, prenaient pour une belle et bonne danse, et qui était en fait un instrument de combat, un système cohérent et délibéré d’entraînement au combat, l’équivalent exact du jiu-jitsu ou du karaté. Un karaté déguisé en pavanne, en forlane ou en menuet, devant les maîtres attendris et inattentifs. Caché derrière la danse, un sport violent et efficace comme le judo, ayant son rituel, ses règles précises et sa raison secrète, forge une arme de combat.
Dans ce local, quatre soirs par semaine, les jeunes gens sous la direction d’un vieux sage, initiateur, arbitre et rénovateur de la tradition, s’entraînent au combat avec les gestes de leurs ancêtres. Il existe une autre version de la capoeira, la capoeira d’Angola de mestre Pastinha, plus traditionaliste, plus formaliste, plus costumée, plus près de la danse. La capoeira de maître Bimba a l’évidence d’un jeu quotidien, d’un sport normal comme la savate ou la boxe française.
Les passes s’inscrivent dans un cercle double, elles sont scandées sur un rythme immuable par le berimbau. Ce sport, ainsi que le pratiquent les élèves de maître Bimba, est un indice de première grandeur, la preuve que les anciennes structures africaines s’étaient maintenues intactes dans une volonté de combat et de liberté.
Alors que Kast prononce les derniers mots, deux élèves se lancent pour le premier jeu, filmés par deux caméras, l’une sur pied au fond de la salle, l’autre cherchant des plans depuis le côté à droite du maître. Deux nouveaux élèves remplacent les premiers dans le jeu ; les deux caméras, portées à l’épaule, essayent de suivre au mieux et de trouver des détails. Avec le temps, le nombre des présents augmente. Une séquence présente l’orchestre : Mestre Bimba qui joue du berimbau et chante, accompagné par un joueur de pandeiro, et le groupe qui répond et frappe dans ses mains. Deux femmes sont arrivées et assistent au jeu ; on entend leurs voix dans le chœur. Puis on assiste au jeu d’une troisième paire d’élèves, filmée de la même manière que la première.
Remarque : Les producteurs de télévision, dans leur angoisse d’atteindre le public populaire, “celui que l’on ne peut influencer que par la télévision parce qu’il ne lit pas” (etc…), ont une espèce de phobie pour les plans qui durent plus de quelques secondes, quel que soit leur contenu. Aussi, les prises de vues du jeu pour la télévision souffrent-elles toujours d’un découpage excessif. Cécile Decugis, la monteuse du film a travaillé avec Rohmer, Godard et Truffaut et ni son talent, ni son ouverture d’esprit ne sont en cause ; Pierre Kast et elle ont assez bien résisté à cette habitude ou à ces pressions ; mais les jeux étant coupés en sept ou huit, on perd nécessairement le fil. Les mêmes préjugés professionnels aboutissent à varier par système la grosseur des plans ; dans les prises de vue de jeu de capoeira, ceux qui montrent les corps tourbillonnants de trop près n’apportent le plus souvent qu’une seule idée, c’est qu’on y comprend rien. Dans les conditions réelles de production, avec les limitations de temps et de consommation de pellicule, on peut tout de même dire que l’équipe a très bien travaillé, surtout si on compare le résultat aux autres réalisations similaires.
Le générique indique “Interview: Maître Bimba”. Peut-être Pierre Kast a-t-il interrogé mestre Bimba, mais dans ce cas il a jugé que son témoignage était mieux rendu par les actes.
Les Carnets Brésiliens
1re partie : Rio de Janeiro
- Femmes de Rio. Liberté des filles à Rio ? – ça n’existe pas.
- Discussion d’étudiants à propos de la culture brésilienne.
- Autobus de Rio. Leur danger.
- Paysage, Corcovado, Rio vu de l’extérieur. “champ de bataille d’un combat contre la misère”.
- Baie de Guanabara, Niterói, transports à travers la Baie.
- Plage de Copacabana. Baigneurs, femmes, vendeurs, futebol de praia. Maracanã. Futebol dans la favela.
- Pêcheurs à Itaipú. Tentation du pittoresque.
- Vieille ville de Rio. Trace de l’architecture coloniale.
- Vinicius de Moraes à Ouro Preto en 1966, sur les marches de l’Église du Carmo : “Candomblé … Bossa-Nova … une samba qui a un peu entendu le jazz…” (en français).
- Très brève séquence du Carnaval.
- Contenu protestataire.
- Baden Powell : canto de Ossanha. Canto de Janaina.
- Edu Lobo joue et chante.
- Luiz Eça répond à Pierre Kast et joue Borandá avec le Tamba Trio.
- Nara Leão et João do Vale du spectacle Opinião.
2ème partie : Architecture du Baroque Mineiro à Brasília et São Paulo
- en voiture de Rio au Minas Gerais. “A Rio, la musique, ici, l’architecture”
- Belo Horizonte, Ouro Preto. “une clé pour comprendre le tout : le Baroque”.
- Musique du Barroco Mineiro. Congonhas dos Campos. Alejadinho.
- Revenu à Rio, entretien avec Lúcio Costa, ne se laisse pas filmer, ne veut pas parler. Fait un croquis.
- Oscar Niemeyer chez lui. Entretien, questions en français, réponses en portugais.
- Brasília, triomphe de la Raison :
- Vues aériennes. Paysages dans la ville.
- Petite explication politique. Relève de la garde devant le Planalto.
- Entretien avec le jeune architecte Campofiorito.
- “Ville libre” à quelques kilomètres.
- “Comment vit-on?” Entretiens avec des habitants, Liliane P. de Carvalho, Ana Lucia Niemeyer.
- Vues des travaux.
- S. Paulo : “Metropolis”. Édifices d’acier et de béton :
- Foule. Paysages urbains.
- Petits palais de l’Av. Paulista, détruits pour construire des grands immeubles. “ici règne le gain, la richesse, l’argent”. Vues d’architecture.
- Arrivée d’un train venant du Nordeste. Immigrants.
- Grandes favelas de la banlieue pauliste. Favela verticale.
- Quartier japonais.
- Lignes électriques aériennes au milieu des immeubles modernes.
- Entretien avec M. Gasparian, capitaliste nationaliste.
- Entretien avec le ministre du Plan, Roberto Campos.
- Entretien avec Adolfo Lerner, jeune industriel.
- Vue aérienne du barrage de Três Marias.
- Baden Powell joue La Marseillaise sur sa guitare.
3ème partie : Bahia
- Un haut immeuble à Sâo Paulo. Gilberto Gil chante Viramundo.
- Aéroport, avions, vue aérienne de Salvador, sables blancs des dunes d’Abaeté, enfants noirs courent sur le sable blanc, blanchisseuses noires lavant dans les eaux du lac.
- Plages vers Itapoan, pêcheurs, forts, églises.
- Ville haute et ville basse.
- Le Mercado Modelo détruit en 1968 par un incendie, vendeurs (dont un de berimbaus).
- Pelourinho.
- Au Musée d’Art Populaire [Solar do Unhão] guidé par le sculpteur Mário Cravo. Restes matériels du temps de l’esclavage.
- Capoeira Regional de mestre Bimba (voir description détaillée et texte).
- Entretien en français avec l’artiste plasticien Carybé.
- L’artiste plasticien Emanoel Araújo montre son travail.
- Entretien en portugais dans son atelier avec le sculpteur Mário Cravo.
- Entretien en Portugais avec l’écrivain Jorge Amado sur le candomblé.
- Église de N.S. de Bonfim, baraques d’articles religieux comme démonstration du syncrétisme religieux. Baianas do acarajé.
- Mestre Didi (Maximiliano Deoscoredes dos Santos) fait visiter la salle d’objets religieux afro-brésiliens du Musée d’Art Populaire.
- Vues extérieures sous la pluie du terreiro de São Gonçalo (Axé Opo Afonjá). Le commentaire précise que Mãe Senhora a refusé que les intérieurs, les cérémonies et un entretien avec elle-même soient filmés.
- Vues des représentations de la Semaine Sainte à Ouro Preto qui montrent une religion populaire où, contrastant avec Bahia, dominent les éléments européens.
- Cérémonies dans un terreiro non identifié.
- Collection d’art baroque de Mirabô Sampaio.
- Maria Bethânia chante Viramundo en scène.
4ème partie : Amazones, Nordeste, cinéma brésilien
- Départ en avion de Rio vers l’Amazone.
- Vues de Belém. Bateaux sur le Pará. Femme en pirogue. Marché au bord de l’eau. Urubus (vautours). Foot-ball de rue.
- Avion pour Manaus avec escale à Santarém.
- Miss Amazonas.
- Départ sur le fleuve. Iguarapé. Agglomérations perdues dans la forêt.
- Navires sur le fleuve. Docks. Marché flottant.
- Rio Negro. Confluent avec le Solimões.
- Route transamazonienne en chantier.
- Noms des autobus.
- Pétrole.
- École Supérieure technique.
- Voyage vers Amapá via Marajó.
- Camp de Macapá. Train jusqu’au mont Tumucumac. Convois de manganèse.
- Indiens le long de la voie de chemin de fer. Fabrique de farinha de manioca.
- Vues de la mine. Salut aux couleurs le matin du départ à l’école de la mine.
- A Macapá, l’Amazone, les cargos qui viennent charger le minerai de manganèse.
- Retour par la route à travers le Nordeste. Feira de Santana.
- Introduction au cinema novo :
- Nelson Pereira dos Santos : brève déclaration en français ; extrait de Vidas Secas.
- Glauber Rocha : déclaration en portugais, extrait de Dieu Noir et Diable Blanc (Deus e Diabo na Terra do Sol).
- Luis Sérgio Person : déclaration en français ; extrait de S.Paulo sociedade anónima.
- Rassemblement de huit jeunes gens sur une terrasse à Rio. Déclarations successives en portugais et en français. Extrait de O corpo ardente.
- “Ce voyage se termine…” (extrait du commentaire final de Kast) :
Ce voyage se termine. Aujourd’hui, je me regarde partir, encore plein d’incertitudes. Six mois consécutifs, j’ai tenté de saisir, sachant d’avance que le délai était trop court, les charmes, les délices et les contradictions de ce pays où finalement mon cœur s’était autant fixé que celui d’Henri Beyle dans sa chère Italie. …
- Chansons par deux jeunes non identifiés.
- Edu Lobo chante Zumbi.
- Nara Leão chante Carcará.
Conditions restrictives imposées par l’INA
Pour voir les archives, vous devez obligatoirement disposer d’un ordinateur sous Windows.
Vous devrez :
- d’abord télécharger (gratuitement) le programme DivX player.
- payer l’INA. Si par erreur vous commandez deux fois, par exemple parce que vous n’avez pas réussi à effectuer le téléchargement, vous paierez deux fois, bien que vous ne receviez qu’un seul programme que vous seul pouvez lire.
- télécharger l’archive qui vous intéresse.
- pour regarder le programme toujours avec DivX player il faut avoir une liaison internet active au moment où vous commencez à regarder.
Vous ne pourrez pas :
- faire de copie qui joue sur d’autres appareils (vous pouvez en déclarer 5, ordinateurs ou lecteurs DVD agréés DivX). Si vous avez acheté, le programme vous pouvez faire une copie DVD pour lire sans connection à internet (pas essayé).
- brancher votre ordi pour regarder confortablement sur la TV.
- regarder au ralenti ou image par image.
- faire une copie d’écran.
Si vous ne disposez pas d’un ordinateur sous Windows, l’INA refuse de vous vendre ses produits. La vente d’un produit ne devrait pas être subordonnée à l’achat d’un autre produit dont il ne dépend pas, mais c’est comme ça.
Ces conditions découlent de l’application des lois françaises et européennes, dont l’hostilité au public, en défense des intérêts des éditeurs, est des plus marquée, et a été encore renforcée en juin 2006.
Nous ne prétendons pas rentrer ici dans les complexités de la discussion sur le financement de l’audiovisuel. L’INA vend ses programmes aux prix du long métrage de fiction alors qu’ils ont coûté dix fois moins cher ; et, en ce qui concerne notre sujet, aucun capoeiriste ne fait partie des «ayant-droit». L’INA traite les copieurs de pirates alors qu’il exploite le produit des maraudes des équipes de télévision dans les pays exotiques, un comportement qui s’apparente beaucoup plus à celle des boucaniers du dix-septième siècle que celui des internautes qui se transmettent des information d’égal à égal. La position de l’INA est donc bien faible au plan moral ; elle est raisonnable au plan légal et commercial, et, même s’ils ont, par les procédés qu’ils emploient, dépouillé le public de droits d’usage qui lui sont pourtant reconnus par la loi, ils ont en tous cas le mérite de n’avoir pas gardé ses archives dans ses coffres.