par Pol Briand.
révision: 18 octobre 2004.
“Boxeurs”, lith. par Géricault, 1818. cliquez sur l’image pour l’agrandir.
En 1818 le peintre, dessinateur et lithographe parisien Théodore Géricault (Rouen 1791 - Paris 1823), connu pour son grand tableau Le Radeau de la Méduse, présenté au Salon de 1819, publia la lithographie Boxeurs (416x352mm). En France, la boxe était considérée comme une des coutumes exotiques de ces voisins au tempérament par trop guerrier qu’étaient les Anglais. Géricault, lui, aimait les sujets dramatiques et contemporains et les anatomies musculeuses. Il ne partit pour Londres qu’en 1820-21, il est donc tout-à-fait impossible qu’il ait dessiné ces Boxeurs d’après nature ; il s’inspira certainement d’une ou plusieurs des illustrations de l’une des revues spécialisées qui circulaient à Londres. On a de lui des croquis préparatoires pris d’après les poses prises par ses amis à l’imitation de ces revues.
Lutte et boxe en Angleterre
Je n’ai pas beaucoup d’information sur les combats de lutte et de boxe en Angleterre avant la Revolution puritaine de 1640, mais il y a de nombreuses traces de leur popularité.
Des poèmes du 14eme siècle montrent déjà des luttes pour un prix, gagné par la chute, l’immobilisation, la mise hors de combat ou l’abandon de l’adversaire, notant les côtes ou autres os cassés et parfois – amplification poétique? – les morts. Les feuilles de ballades populaires (publiés à partir du 16ème siècle), le théâtre (Shakespeare, As You Like It, 1599), les poèmes, illustrés par une gravure, célébrant les Jeux Olympiques des Cotsworld, organisés vers 1600 par un M. Robert Dover (1575?-1644), évoquent tous ces compétitions, pour un prix ou en réponse à un défi. Selon Rowse (Elizabethan Renaissance, p.200),
la lutte était la distraction la plus populaire chez les Cornouaillais, ils en étaient très fiers « et leurs ex-compatriotes et aujourd’hui voisins les Bretons ne peuvent leur arracher ces lauriers » [Carew 75-6] (…) Le cornouaillais champion de ce temps était John Goit, de la Garde de Sa Majesté [Elizabeth I] : un compagnon bien fait, très agile et qui était aussi un bon marin, capable de prendre en charge un navire aussi bien comme maître que comme capitaine ; et était aussi un bon compagnon
La Révolution mit fin à tout cela : le peuple s’occupa de luttes sérieuses, au canon, et au fusil, avec piques et épées, étendards et hymnes religieux, durant une quarantaine d’années, pendant lesquelles hors de la cause sacrée de Dieu et de la liberté du commerce, les Puritains n’admettaient pas de luttes. Ni d’ailleurs de jeux, surtout ceux d’argent, de fêtes, de sexe, de théâtre et de littérature. A la Restauration, des combats pour des prix furent à nouveau organisés, avec des paris et lutteurs ou boxeurs professionnels.
Un de ces professionnels était l’analphabète James Figg, qui ouvrit la première académie pugilistique à Londres en 1719. Il y avait aussi parmi l’aristocratie des amateurs connus qui se piquaient de leur connaissance dans l’art de la boxe. En 1743, Jack Broughton, un homme bien élevé qui possédait une école de boxe à Londres, écrivit les premières règles, interdisant les coups en dessous de la ceinture, les prises au dessous de la poitrine, de frapper l’adversaire à terre, établissant un temps de combat, etc. (ces règles se maintinrent en Angleterre jusqu’à la fin des combats à poings nus en 1889).
La boxe émigra en Amérique avec les colonisateurs. Les propriétaires des colonies du Sud enseignaient les coups aux plus braves de leurs esclaves pour parier sur le résultat des combats (comme dans le cas des combats de coqs), sans beaucoup de précautions pour éviter les blessures graves ou même les morts. Au nord, les Puritains réprouvaient et interdisaient tous les types de luttes. En règle générale, il y avait deux genres de combats : la lutte pour un prix, à poings nus, avec des paris, dans un milieu plutôt douteux; et le “sparring”, avec gants, qui était plutôt une exhibition de technique, sans prime ni nécessité d’infliger des blessures à l’adversaire, considéré comme une saine distraction.
En 1809 le champion Tom Molineaux, un esclave qui avait gagné sa liberté comme prix d’un combat, arriva en Angleterre. En 1810 et 1811 il combattit le champion anglais Tom Cribs, et perdit. Mais les combats eurent un grand retentissement dans le pays. Dans ce contexte, il n’est pas étonnant que le jeune Géricault représente le combat d’un Noir et d’un blanc. Le contraste accentuait l’expressivité de la lutte notée graphiquement par le croisement des avant-bras et des jambes des combattants sur le fond parallèle des spectateurs. Les poings nus et les gestes de l’assistance montrent qu’il s’agit d’une rencontre sérieuse, pour de bon. En dehors de ces considérations artistiques, en 1818 les Français avaient encore un vif souvenir des massacres et des atrocités de l’insurrection de Haïti, dont l’indépendance ne fut reconnue officiellement qu’en 1825; les sociétés anti-esclavagistes faisaient de leur mieux, malgré leurs faibles effectifs, pour se faire entendre, tandis que le Ministère résistait encore à l’effort solitaire de l’Angleterre pour faire abolir la traite des esclaves : associer les races et la confrontation dans la même image avait une large gamme de résonances symboliques.